Montmagny et la navigation

Au 19e siècle, la vallée du Saint-Laurent fait face à une pénurie de terres cultivables et à un chômage endémique. Plusieurs Magnymontois se tournent alors vers la navigation et la pêche. Des représentants de compagnies recrutent de la main d’œuvre pour la pêche dans le golfe du Saint-Laurent. L’instinct de survie et le désir d’aventure guident alors de nombreux jeunes hommes vers la mer. La tradition orale et les histoires familiales nous font découvrir certains de ces valeureux marins qui ont connu une vie souvent ponctuée d’écueils et de dangers.

 

La famille Couillard-Després

Descendant d’une famille de marins, Alexis Couillard-Després, né en 1804, navigue dès son jeune âge. Au fil de l’expérience acquise, il devient propriétaire d’une goélette, la Marie-Emma, construite en 1857.

Son fils, Fabien (Fabiana) est, à son tour, propriétaire de la Marie-Louise,  une goélette construite en 1856 sur laquelle il fait la navette entre Montréal et Terre-Neuve.

Le fils de Fabien, Diogène, suit les traces de son père. Très jeune, il suit l’appel de la mer. Après  une aventure de deux ans au Klondike, il est engagé par le gouvernement fédéral à titre de marin puis de capitaine sur les bateaux desservant Grosse-Île (L’Alice, le Polana) et d’autres navires affectés à la navigation sur le fleuve Saint-Laurent. Il navigue pendant 42 ans.

Enfin, Gérard, fils de Diogène, s’engage dans la marine canadienne qu’il servira durant toute sa carrière.

Le capitaine Elzéar Lefebvre-Boulanger (1847-1933)

Né le 17 octobre 1847, Elzéar Lefebvre-Boulanger fait partie d’une famille de navigateurs. Dès l’âge de 13 ans, il s’engage sur un navire. Ses nombreuses expériences de marin forment son caractère. Les voyages sont souvent teintés de violence, de tempêtes, d’exploitation et de maladie. En 1866, il s’enbarque sur un trois mats partant pour Boston. Après des semaines de mauvais traitements, il déserte le navire rendu à destination.

Les années se suivent et se ressemblent. Les voyages sont longs. Il ne sait jamais quand se fera le retour. Son plus long voyage s’échelonne sur 17 mois.

À l’automne 1870, il est second sur un brigantin commandé par son frère et sur lequel son jeune frère est cuisinier. Lors d’une tempête, ses deux frères sont emportés par les vagues. Le voilier avarié arrive péniblement à La Barbades 23 jours plus tard.

Il navigue ainsi pendant 50 ans. Il est décédé à Montmagny, le 24 novembre 1933, à l’âge de 86 ans.

Le capitaine Louis-Octave Côté (1840-1910)

Louis-Octave Côté est né à Montmagny le 26 août 1840. Dès sa jeunesse  il s’engage, comme plusieurs compatriotes, sur des navires de pêche. Le recensement canadien de 1861 l’identifie comme «voyageur-pêcheur». En 1873, détenteur d’un brevet de capitaine, il prend le commandement de la goélette Aurélie, un bateau en bois jaugeant 538 tonnes, construit à Québec en 1869. Quatorze personnes forment l’équipage.

Au printemps 1875, il se dirige vers Liverpool pour y prendre un chargement de charbon à livrer à La Barbades. Son épouse, alors enceinte, et sa fillette aînée l’accompagnent. Le voyage se déroule bien jusqu’au 1er août au moment de la découverte de fumée provenant de la cale remplie de charbon. Le 3 août, le pont devient chaud et le capitaine Côté ordonne de préparer chaloupes, nourriture et vêtements en prévision d’une évacuation. Le 7 août, la coque de bois prend l’eau et l’ordre d’évacuer est donné vers 17 heures. Quatre heures plus tard, le bateau coule, à 1500 milles des côtes.

Les naufragés sont ballotés par les vagues pendant 4 jours et 5 nuits. Le 10 août, vers  7 heures, ils sont aperçus et recueillis par le Moonlight, un navire américain se dirigeant vers New York. Lorsqu’ils arrivent au port, le 31 août, l’épouse du capitaine Côté a donné naissance à un garçon deux jours auparavant. Le capitaine Côté fait son rapport et le journal New York Herald publie un long reportage sur le naufrage de l’Aurélie.

La famille Côté revient à Montmagny où l’enfant est baptisé le 19 septembre 1875. Le capitaine poursuit sa carrière de navigateur  pendant quelques années avant de reprendre la ferme familiale située dans le secteur Basse-Bretagne, à Montmagny. Il décède le 16 mars 1910.

Le marin Napoléon Mathurin (1860-1928)

En 1884, l’écrivain et journaliste magnymontois André-Napoléon Montpetit rapporte dans un livre la force et le courage de Napoléon Mathurin à la suite du naufrage du navire sur lequel il est engagé.

Mathurin est issu d’une famille vouée à la mer : son père est capitaine côtier et trois de ses frères sont marins. De son côté, il quitte l’école à 16 ans pour s’engager comme pêcheur puis à titre de marin.

Le 18 novembre 1881, il monte sur le S.S. Bahama, un vapeur d’acier américain utilisé durant la guerre de Sécession. Le navire, avec un équipage de 30 hommes, quitte le port de Québec en direction de Porto Rico. Le 4 février suivant, le S.S. Bahama quitte l’île avec un chargement en direction de New York.

Le soir du 10 février, la tempête s’amorce et le navire sombre durant la nuit. Les quatre chaloupes de sauvetage sont descendues, mais trois se brisent sur la coque du bateau en détresse. Mathurin refuse d’accompagner les 13 marins qui ont réussi à monter sur la seule chaloupe restante. Il considère que l’embarcation est trop chargée et que c’est trop dangereux. Lorsque le navire sombre, il réussit à monter sur des débris de bois et dérive au gré des vagues pendant 7 jours avec comme seule nourriture un biscuit de marin et de l’eau qu’il réussit à recueillir lors d’un orage. Il est rongé par le désespoir.

Le 17 février, il est aperçu et secouru par le brick américain Pearl et ramené à New York où il apprend que les 13 passagers de la chaloupe ont été rescapés le jour même du naufrage.

Revenu à Québec, il s’engage à nouveau sur un navire et poursuit sa carrière maritime. Napoléon Mathurin est décédé à Québec le 18 janvier 1928 et a été inhumé à Montmagny.

Le pêcheur Thomas Gaudreau (1845-1930)

Thomas Gaudreau est né à Montmagny le 24 décembre 1845. Fils de cultivateur, il s’engage comme pêcheur dans le golfe du Saint-Laurent.

Au milieu de l’été 1862, Thomas Gaudreau, accompagné de d’autres pêcheurs, est  surpris par une tempête. Leur chaloupe se renverse et les hommes sont jetés à la mer. Il voit certains de ses compagnons couler alors que trois refont surface. Les quatre survivants se cramponnent et réussissent à relever et à remonter dans la chaloupe. Avec l’énergie du désespoir, ils vident l’eau de l’embarcation avec leurs bottes. Le 14 août 1862, de nombreuses heures après la catastrophe, la chaloupe est retrouvée par un navire, le Petrel , arrivant de Liverpool. À bord de l’esquif, seul Thomas Gaudreau a survécu. Ses compagnons d’infortune, originaires de St-Thomas, de Berthier et de Cap-St-Ignace sont morts de faim et d’épuisement.

Le Petrel arrive au port de Québec le 21 août avec le naufragé.  La nouvelle du désastre se répand. Les journaux Le Courrier du Canada et Le Canadien rapportent l’accident.

Revenu à la ferme familiale, les informations familiales laissent croire que le pêcheur a choisi une carrière moins dangereuse, soit la culture de la terre. Lors de son mariage en 1871, il est déclaré cultivateur. Il décède à Montmagny le 29 janvier 1930, sur la terre ferme…